[Les Inrockuptibles 1997_10_15] CHRISTIAN FEVRET ET JEAN-MARIE DURAND Mémoire vive

Mémoire vive
Christian Fevret et Jean-Marie Durand
Les Inrockuptibles
15 octobre 1997


Dans la prise de conscience progressive qui rend possible le jugement de Maurice Papon, le rôle joué par Marcel Ophuls avec son film Le Chagrin et la pitié s'est révélé primordial : ce documentaire de 1969, aussitôt censuré, entamait en profondeur le travail de démystification de la France occupée. Aujourd'hui, plus que jamais travaillé par les questions que pose la Collaboration, le cinéaste s'interroge sur la nature et la portée du procès Papon.


Dans quel état d'esprit étiez-vous au moment de réaliser Le Chagrin et la pitié Qu'est-ce qui vous a poussé à le faire ?

Je ne voulais pas le faire. C'est une commande de l'ORTF. A chaque fois que je raconte cela, j'ai l'air de passer pour un martyr du destin. Mais c'est vrai que si j'avais pu entrer à Hollywood en revenant de l'armée et devenir l'assistant de Vincente Minnelli, peut-être le concurrent de Stanley Donen, j'aurais préféré ­ et je serais aujourd'hui dans une retraite très confortable. Après l'échec de mon film avec Eddie Constantine et Jeanne Moreau, Peau de banane, j'étais parti travailler pour André Harris et Alain de Sedouy à la télévision française pour l'émission Zoom. Un jour, le patron de la deuxième chaîne a proposé à Harris et Sedouy des soirées consacrées à l'Histoire contemporaine. On a essayé de trouver des sujets en dehors de la pensée unique gaulliste d'avant 1968. Un jour, André Harris me dit "Est-ce que vous voulez faire Munich ?" Je lui demande "La ville ou la conférence ?"... Six mois après, trois heures et demie étaient prêtes. Le Chagrin et la pitié devait donc être la suite de ce travail sur Munich, qui avait bien marché. Mais moi, je trouvais que ce n'était pas la peine de revenir sur l'Occupation.

Travailler sur la Collaboration ne vous paraissait pas nécessaire ?

Je n'étais pas du tout obsédé par ce genre de choses. Je suis le fils de mon père (le réalisateur Max Ophuls). Or, mon père était très politisé et pas du tout rancunier, ni revanchard. Quand il est rentré des Etats-Unis après la guerre, quand il travaillait avec des acteurs ou des techniciens français, jamais il ne leur demandait ce qu'ils avaient fait pendant l'Occupation. Et moi, a priori, j'adoptais son attitude.

Ce n'était donc pour vous en rien une question personnelle à régler ?

Ça l'est devenu. Toutes les interviews du Chagrin et la pitié, à quelques exceptions près, sont faites avec des gens de bonne compagnie, francs, qui avaient envie de parler. Je n'ai pas rencontré beaucoup d'antisémitisme à l'époque. Je ne le cherchais pas. Mais en essayant de cerner les questions, je me suis vite aperçu que la rafle du Vel' d'Hiv' était un événement central. Mitterrand avait un certain culot quand il disait n'avoir pu savoir qui était René Bousquet qu'en 85. On peut quand même supposer qu'il a vu Le Chagrin et la pitié. Tout comme madame Veil ­ qui a accepté, en son temps, de siéger dans le même gouvernement que Maurice Papon ­, qui aurait déclaré qu'on n'avait pu connaître le rôle exact de l'ancien chef de la police de Vichy dans la déportation des juifs qu'à partir de 1985. Mais madame la Ministre, aujourd'hui encore, se vante d'avoir interdit d'antenne Le Chagrin et la pitié à la télévision française lorsqu'elle faisait partie du conseil d'administration de l'ORTF. Or, la rafle du Vel' d'Hiv' y est largement évoquée, Bousquet y est non seulement montré à trois reprises, mais clairement identifié : sa rencontre avec Heydrich pour traiter des questions juives, toutes ses responsabilités auprès de Laval, auprès des Allemands.

Pourquoi le film a-t-il été censuré à la télévision ?

A l'ORTF, Arthur Conte avait dit qu'il allait le programmer. Ensuite, comme les autres, il a eu les chocottes, il a dû entendre que le général de Gaulle en personne ne voulait pas que le film passe ­ ce que moi-même je n'ai appris qu'à l'occasion de l'histoire Mitterrand-Bousquet : Debresson, le directeur général de l'époque, était allé voir le général à Colombey pour lui dire qu'il ne savait pas quoi faire avec ce film sur l'Occupation. Le général lui a alors demandé ce qu'il y avait dedans et Debresson, qui avait été un grand résistant, aurait répondu "certaines vérités". De Gaulle a eu un haut-le-corps et une réponse superbe : "Des vérités ? Les Français n'ont pas besoin de vérités, ils ont besoin d'espoir." La véritable censure, elle est là. Quelques années après la mort de De Gaulle, ce pauvre Arthur Conte a nommé une commission. Un jeune magistrat juif et déporté, très intelligent, très compétent, qui s'appelait Simone Veil, est monté sur les barricades en disant que le seul personnage sympathique dans ce film était un ancien Waffen-SS français. Elle a dénoncé la mode rétro du Chagrin et la pitié. Simone Veil était contre le procès Barbie. Barbie a été pour Serge Klarsfeld, pour moi, pour d'autres, la courroie de transmission dans la lente prise de conscience de la France par rapport à son passé, pour pouvoir tourner la page, pour pouvoir garder des critères, ne pas sombrer dans le cynisme. Ce n'est pas pour faire des célébrations et des commémorations holocaustiennes, ce n'est pas pour faire de la vengeance juive. C'est parce qu'en tant que citoyens français, certains d'entre nous ­ dont peut-être une majorité de juifs, je ne le nie pas ­ considèrent que ce n'est pas un péché mignon ! La France est un des pays les moins antisémites du monde, malgré Le Pen. Sans doute pas un des pays les moins fascistes, mais les moins antisémites. Il y a toujours des préjugés, les juifs aussi en ont, moi aussi. Ce qui rend amer en vieillissant, c'est que je n'accepte plus du tout les remontrances ou les leçons faites par des historiens officiels français qui, eux, n'ont pas fait leur boulot. La corporation des historiens français a dû attendre un petit Marcel Ophuls et un universitaire américain du nom de Paxton pour que les gens prennent conscience. C'est une honte. Pourquoi les académiciens français, les gens en Sorbonne, diplômés et reconnus officiellement en France, sont-ils toujours des couilles molles ?! Il n'y a pas que l'Holocauste : ils sont des couilles molles partout et en tout, c'est une tradition française.

Comment expliquez-vous ce silence des intellectuels à l'époque du Chagrin et la pitié ?

Je n'étais pas suffisamment bien briefé pour juger. Le livre d'un expert à l'époque, Robert Aaron, cherchait toutes les trois-quatre pages à faire l'apologie de Vichy sans en avoir l'air. Je lisais Henri Michel sans le trouver très informatif. L'historien qui m'a le plus aidé était un type qu'on avait trouvé en Allemagne : Heberhard Jäckel. Il avait écrit un livre sur le régime nazi dans les pays occupés. A l'époque, on ne connaissait pas Paxton. Mais il faut se calmer avec le battage fait autour de mon film soi-disant censuré, soi-disant destructeur de mythes et de légendes.

Quelles sont, pour vous, les vertus du procès Papon ?

Dans les semaines qui viennent, une fois de plus, les bonnes âmes en général, et les parties civiles en particulier, vont faire valoir à la France entière les "vertus pédagogiques" d'un tel procès. Quant à moi, il me semble qu'il vaudrait mieux que les familles des déportés avouent franchement leur motivation principale. Comme me le confiait autrefois Telford Taylor, procureur général au procès de Nuremberg, "Le désir de vengeance, chez les victimes, est une composante essentielle et nécessaire de l'effort d'une société civilisée pour en comprendre la justice." En voulant faire semblant de ne pas en tenir compte, c'est un peu comme si l'on voulait s'excuser auprès des neutralistes, des je-m'en-foutistes, de ceux qui n'ont pas assez de coeur et de compassion pour comprendre l'abomination absolue de l'Holocauste. Faire la leçon aux jeunes générations, à travers le procès d'un vieillard, dont un jury d'assises devra déterminer s'il avait eu, ou non, connaissance de la solution finale ? Cela me semble à la fois absurde, beaucoup trop abstrait et, surtout, comme toutes les cérémonies commémoratives, beaucoup trop solennel et guindé. Et puis, quelle curieuse façon d'envisager la justice dans un Etat de droit ! C'est Staline qui mettait en scène les ignobles procès de Moscou pour "enseigner" à son peuple abruti par la propagande les vertus d'une idéologie meurtrière. Dans une démocratie véritable, les dirigeants se doivent de traiter leurs concitoyens non pas en "jeunes" ou en "vieux", mais en adultes responsables de leurs propres connaissances, voire de leurs propres préjugés. La justice des hommes, imparfaite, parfois arrogante et répressive, n'a qu'un seul but : rendre la justice ­ et donc donner au peuple d'un pays le sentiment que, malgré tous les avatars, malgré toutes les bavures policières, malgré toutes les écoutes téléphoniques de l'Elysée, malgré tous les scandales de sang contaminé, malgré toutes les ratonnades, il reste toujours un recours contre l'arbitraire et contre la barbarie. Voilà, à mon humble avis, la seule "vertu pédagogique" d'un tel procès.

Est-ce une leçon d'histoire ?

Non. Pourquoi le serait-ce ? D'ailleurs, cela fait déjà un certain nombre d'années que Serge Klarsfeld a réussi, contre l'immense résistance de la corporation frileuse et ô combien opportuniste des académies françaises, à faire changer les manuels d'histoire. De nos jours, malgré les efforts considérables de notre défunt Président, aucun Français qui n'a pas choisi délibérément l'ignorance et l'indifférence, qu'il ait 15 ou 75 ans, ne peut plus ignorer ce qu'a été le régime de Vichy et quelle a été sa complicité dans la destruction des juifs et des gitans. Prétendre le contraire, c'est déjà se compromettre avec les indifférents, vouloir s'excuser devant l'immense majorité des "bof", voire des disciples de Le Pen, qui considèrent que l'antisémitisme est un péché mignon ("un point de détail"). Dans ces circonstances, faire valoir les vertus de la pédagogie, cela équivaut presque à s'excuser de vouloir faire rendre la justice par le peuple français. Je trouve cela stupide, inutile et antipathique ! C'est aussi une question de dignité : nous autres membres du "Shoah business" et du soi-disant "lobby juif", nous n'avons pas à nous excuser auprès des imbéciles. Et puis, quel espoir peut-il donc encore rester, franchement, à faire de la pédagogie auprès de ceux qui pensent (dans la mesure où il leur arrive encore de penser) que toutes ces vieilles histoires ne les concernent pas ? Avec quels arguments pourra-t-on convaincre les fans des Sex Pistols et de Nique Ta Mère que le nazisme et l'élimination par les gaz des perdants sont de si mauvaises choses ? Cet esprit de fausse révolte pseudo-anarchisante n'a-t-il pas depuis belle lurette adopté, dans sa chorégraphie, dans ses gestes, dans tout son folklore agressif et méprisant, toutes les attitudes et les symboles des conquérants barbares ? Pourquoi, sinon pour signifier que dans l'esprit collectif des jeunes, les histoires de juifs et de nazis ne sont que des jérémiades de vieux cons ringards ressassant leurs histoires "douteuses", dans l'espoir de nous apitoyer ? Est-il nécessaire de rappeler que pendant le procès de Barbie, le fringant Me Vergès, auteur de La Beauté du crime, recevait des dizaines de lettres d'amour par jour ? Alors que Klarsfeld, grand patriote français, citoyen courageux et longtemps solitaire, de nos jours se fait encore traiter ici et là de "chasseur de nazis" et d'obsédé de la vengeance juive ?

En tournant votre film, saviez-vous dans quelle mesure les Français avaient connaissance de la solution finale ?

Pas sur Le Chagrin et la pitié, parce que ce n'était pas le sujet, mais plus tard bien sûr. Sur Hôtel Terminus, c'était inévitable, la question se posait tout le temps. A l'époque, j'avais de grands yeux bleus, je pensais que la plupart des gens étaient de braves gens. Malheureusement, ce n'est plus du tout mon avis. Quand Le Pen a braqué le monde entier en faisant sa fausse gaffe du "point de détail", tout le monde a joué les pères la vertu, mais je suis convaincu que dans l'esprit populaire de millions de gens en Europe, aux Etats-Unis, l'antisémitisme est un péché mignon, et les camps de la mort sont un point de détail dans l'esprit de la vaste majorité. Si on aime son père et sa mère, sa famille, on ne la remet pas en question ­ même si l'oncle Gustave était SS. J'ai trop de preuves de cela, même dans ma propre famille, j'ai trop d'exemples de fausse charité chrétienne : "Untel a tenu des propos antisémites, oh, c'est parce qu'il se fait vieux, il ne fait pas attention à ce qu'il dit... mais tu sais, c'est un brave type."

Alors comment, malgré cette chape de plomb, les procès ont-ils pu avoir lieu ?

On aime bien accuser les vieux, surtout quand on sait qu'ils se vantent, qu'ils se donnent le beau rôle. C'est "amusant" de pouvoir prouver que Sartre n'a pas résisté, étant donné le terrorisme qu'il a exercé sur Camus et sur d'autres, et de savoir après tant d'années qu'il a menti. C'est une jouissance un peu triste mais qui fait partie de la nature humaine. Ce n'est pas la seule explication. En dehors du fait que le lobby juif existe ­ quand les gens disent "Lanzmann et Ophuls, c'est le Shoah business", d'abord je trouve ça drôle parce que c'est un jeu de mots spirituel, et ensuite le "Shoah business" existe, il n'y a pas à en avoir honte. Bien sûr qu'il y a une pression exercée par une certaine communauté, plus puissante que les gitans et les Arméniens, plus riche, plus répandue, plus éduquée, plus proche des postes de pouvoir, qui en avait gros sur la patate et qui voulait rétablir la vérité. J'en fais partie. Une autre raison, je crois, est qu'en dehors de ces juifs dont je viens de parler, il y a, Dieu merci, une minorité de gens, en général des intellectuels, pas des politiques, ni des hommes d'action, qui pensent qu'une société évoluée, productive, créatrice et cultivée doit se poser des problèmes de conscience. Alors, quand leur donne-t-on la parole ? Après quels événements ? Les Allemands l'ont fait plus vite que les Français, non parce qu'ils sont meilleurs mais parce qu'ils y ont été obligés. Les Anglo-Saxons ont corrigé les livres d'histoire du Dr Goebbels et ont fait un bon boulot, qui a abouti à la chute du mur de Berlin. Cette leçon en démocratie, de Gaulle n'a jamais voulu la donner, peut-être parce qu'il n'était pas lui-même un grand démocrate, mais aussi pour des raisons d'Etat. C'est vrai que mon film est reconnu, qu'on peut lire dans le Larousse illustré que j'ai contribué à ouvrir les yeux ­ ce qui me semble un peu excessif. Mais le boycottage, la liste noire, la liste grise, tout ça continue : j'ai du mal à trouver du travail ­ peut-être aussi parce que je suis un emmerdeur et que mes films coûtent trop cher... Il y a plusieurs raisons mais aussi certainement celle-là : celle du juif allemand, métèque, aigri parce qu'il est seulement le fils de son père qui fait des films dénonciateurs.

Voyez-vous le procès Papon comme un aboutissement de votre démarche pionnière ?

Je n'ai pas de réponse à cette question, parce que je ne pense pas que le cinéma change la perception des choses. Je pense que le cinéma ne devrait même pas avoir cette ambition. Le Chagrin et la pitié a été fait avec pas mal d'innocence et de naïveté, sans que je me pose le problème de savoir si cela allait résoudre les problèmes de l'Histoire de France ­ vraiment pas. J'ai fait mon job, il y a eu ensuite une série de relais : Serge Klarsfeld y a contribué, lui qui avait mauvaise réputation, qu'on nommait le chasseur de nazis. Je pense que maintenant, les gens sont prêts à reconnaître que Serge est un grand patriote français et qu'il a contribué à rendre la vie française plus saine. Il a crevé les abcès.

La manière dont se présente le procès vous semble-t-elle aller dans la bonne direction ?

Ce qui rendra sans doute ce procès encore plus difficile à faire comprendre à un public non averti, c'est que d'une part, il est à peu près inconcevable qu'un haut fonctionnaire chargé des "questions juives" dans une grande ville comme Bordeaux n'ait pas été mis au courant de la destination finale des hommes, femmes et enfants dont il assurait la déportation ; mais que d'autre part, il incombera au procureur et aux parties civiles de le prouver. Ce ne sera sans doute pas facile ! Par ailleurs, l'opportunisme et la servilité des plus hauts magistrats français, au moment du procès Barbie, ont fait qu'ils ont cru devoir donner une définition du crime contre l'humanité qui exige la preuve que l'accusé "participait" à l'idéologie totalitaire du régime nazi. Cela avait déjà exigé des contorsions fort douteuses pour arriver à faire condamner l'ignoble Touvier, car il fallait prouver, non pas qu'il était un dirigeant de l'abominable milice, mais qu'il était aux ordres de la Gestapo lyonnaise... Ce qui n'est pas aussi incontestable qu'on a voulu le faire croire. Si les avocats de Papon arrivent à convaincre un jury qu'il ne pouvait pas avoir connaissance de la solution finale, il ne peut pas être condamné pour crime contre l'humanité. Et c'est au procureur de le prouver. Il est possible que le procès soit injuste parce que je suis convaincu, d'après ma propre expérience, que ce soit en France ou en Allemagne, qu'on ne pouvait pas ne pas savoir, être ignorant du statut des juifs. C'est une propagande défensive de l'après-guerre des gens qui avaient collaboré que de dire, avec l'appui de pas mal d'historiens, que la solution finale était un secret d'Etat, su par une poignée de SS. Vergès a eu le culot de dire que Barbie ne pouvait pas connaître la destination des enfants de Lisieux. C'est vrai que les nazis ne le mettaient pas dans les journaux parce qu'ils voulaient que des fonctionnaires français de police ne sachent pas trop bien ce qui se passait après Drancy. En obligeant l'accusation à fournir la preuve que Papon "travaillait" directement pour les Allemands et partageait leurs idées racistes et meurtrières, on risque fort d'absoudre une fois de plus le régime de Vichy. Pourquoi ? Parce que les magistrats de la cour de cassation, comme d'habitude à la botte du pouvoir en place, redoutaient que Me Jacques Vergès, une fois les crimes contre l'humanité évoqués devant un tribunal, ne fasse allusion à ceux commis par la France en Algérie. Et voilà le travail !

Ce procès vous semble-t-il nécessaire pour la jeune génération ?

Si "les jeunes", ces fameux jeunes à la fois tant courtisés et si honteusement ignorés par les pouvoirs en place, tirent une leçon du procès Papon, gageons que ce sera la plus simple et la plus primaire : que les notables français (papa, maman, les profs et les flics), comme dans les meilleurs romans de Simenon, sont tous des salauds et des hypocrites. A mon avis, comme leçon de morale, ce sera un peu court ! Ce que je crois, c'est que la jeunesse ne pourra tirer les enseignements du passé que lorsqu'elle le voudra bien, lorsqu'elle acceptera enfin de ne plus se considérer comme une classe à part, séparée par on ne sait quels ressentiments obscurs et haineux du reste de la population, lorsque nous tous, ensemble, parviendrons par miracle à partager une fois de plus les mêmes souvenirs collectifs, les mêmes soucis et plaisirs quotidiens, les mêmes craintes et les mêmes révoltes devant ce que nous réserve l'horreur économique du xxième siècle. Eh oui, pourquoi pas, lorsque nous pourrons aller voir avec le même plaisir les mêmes films et écouter les mêmes musiques, sans nous laisser entraîner dans les gestes et les attitudes barbares et triomphantes de ces champions cyniques et totalitaires qui proclament à chaque victoire sportive leur attachement profond aux valeurs fascisantes. "That will be the day!" Contre l'injustice et la barbarie, il faut réapprendre à se révolter ensemble, et non pas séparément.

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